La réforme de la classe de seconde - de Darcos à Chatel

Parce qu'il me semblait important que sur le forum se trouve la réforme à l'origine de la volonté de créer Force Lycéenne, je rédige ce topic. Les images que vous voyez là sont tirées du texte officiel présenté par Xavier Darcos à la presse le 21 octobre 2008, disponible ici.




Comme vous pouvez le voir, l'année des secondes n'est plus organisée en trimestres mais en semestres. Cela pose immédiatement un problème problème : et si mon élève alpha ne se plait pas dans son option ( enfin avec le système actuel mais aussi le nouveau proposé ) ? Il lui faut donc attendre 4 mois et demi pour demander le changement ?
Il faut savoir que selon le système prévu par Xavier Darcos, c'est-à-dire le système de modules dont je vais parler juste après, il est possible de changer, lors du deuxième semestre, de module. Mais si le module ne nous convient pas ? Tant pis, on en a pour 4 mois et demi ? De quoi démoraliser un lycéen ... Surtout à l'heure où l'on dit que les lycéens n'ont plus confiance en leur lycée, en l'Education !
A titre totalement personnel, je crois que quel que soit le système, il faut, au bout d'un mois après la rentrée, la possibilité à chacun de changer d'option ou module. En un mois, il a le temps de faire le tour et savoir si ça lui plait, et il n'est pas trop tard, s'il change d'option ou de module de ratraper ce qu'on fait les autres dans ce qu'il veut choisir finalement. Tandis que ratraper 4 mois et demi ...
Toujours à titre personnel : j'avais pris, en 3°, l'option SES ou la seconde. Une fois arrivé en cours de SES, je me suis profondémment ennuyé, bien plus que la " normale " du lycéen moyen. J'ai eu la triple chance :
- d'être dans une classe regroupant les options Arts - Plastiques, SES et Théâtre
- d'entendre, en restant à la fin d'un cours, un ami parler au professeur principal et savoir où en était sa demande de changement ( SES => Théâtre )
- d'avoir un professeur principal professeur de français mais surtout de théâtre et des professeurs de théâtre très sympathiques
J'ai donc pu changer d'option et prendre Théâtre, et très franchement j'en suis particulièrement heureux, j'ai passé trois excellentes années dans cette option. S'il y avait eu le système de modules ... Je ne préfères pas imaginer.

C'était simplement pour l'organisation en semestres. Je peux maintenant faire la transition avec l'organisation des modules, qui posent d'énormes problèmes.
Problème numéro 1 : quand je choisis un module, je choisis tout ce qu'il comporte. Vous aurez remarqué la diversité parfois surprenant des matières dans ces modules. Le plus flagrant est le module " Humanités " ( on se croirait revenu 20 - 40 ans en arrière ... où l'on disait " faire ses Humanités " ). Si je veux faire Humanités parce que je souhaite apprendre ou approfondir des langues étrangères ( utiles pour le professorat, journalisme, la traduction, les ambassades ... et j'en oublie beaucoup ), je suis obligé de prendre le Grec et le Latin. Certes, ça peut être intéressant, mais l'est-ce vraiment pour tous ceux qui veulent apprendre les langues étrangères ? Comment se passeront ces cours si les trois quarts n'ont pris ce module que pour les autres matières ? L'attention sera-t-elle optimale, voire simplement basique ? Ce n'est pas certain du tout. Combien voudront prendre les langues étrangères ? Beaucoup. Et combien voudraient prendre Grec et Latin ? Très peu.
Concernant le module technologique, n'en parlons pas, c'est très " fourre - tout " : on passe du laboratoire à l'hôtellerie en passant par l'ingénieurie et le sport ... Là encore, ceux qui auront prit le module pour telle matière snoberont les autres, et l'ambiance de classe, qui contribue énormément à la réussite de chacun, sera plus que plombée.

Concernant ces modules toujours : 6 heures par semaine. Dans le module Humanités, cela fait 6 heures pour 4 matières. Sciences : 6 heures pour 4 matières. Sciences de la société : 6 heures pour 3 matières. Technologies : 6 heures pour 5 matières. Il est clair que les connaissances aquises dans chaque matière risquent d'être plus que lacunaires !

Encore pire : la possibilité de changer de module au deuxième trimestre. On pourrait se dire " bien, ça permet de faire autre chose, chercher sa voie ! " Mais si ce changement est possible, il n'est pas obligatoire ! Il n'est donc pas question pour les professeurs de refaire leurs cours du premier semestre au second, puisqu'ils auront des élèves qui resteront. Ce qui veut dire que ceux qui changeront auront un retard de 4 mois et demi ! Car en effet, les cours sont ( normalement ) structurés, de manière à ce que les professeurs puissent aborder à tel moment de l'année telle notion qui fait référence à tel chapitre déjà vu quelques mois ou un an auparavant, et qui permet de mieux comprendre ce de quoi il parle. L'élève qui aura changé de module et qui débarquera dans son nouveau module ... ne comprendra certainement pas grand chose ( Prof : " vous savez, je vous en ai parlé au début de l'année ! " Elève : " Ba moi j'étais pas là, m'sieur, vous pouvez m'expliquer ... ? " => temps " perdu ", moins de choses apprises au final ). Et par rapport à ses camarrades qui seront de l'équipée depuis le début de l'année, il sera en décalage. Ce qui là encore détériore la classe. Sans compter que le temps d'adaptation à une nouvelle classe, de nouveaux camarrades, se fait en commun, au début de l'année. Certains se connaissent, d'autres pas, mais dans l'ensemble tout le monde est dans le même état d'esprit de fondation d'une micro-société. Si quelques élèves arrivent en cours d'année ... Ils risquent d'être perdus. De petits groupes se forment, et bien qu'il arrive que de nouveaux arrivants s'y intègrent parfaitement et rapidement, il arrive tout aussi souvent que de nouveaux arrivants n'arrivent pas à s'y intégrer, et vivent mal leur restant d'année scolaire, ne se sentent pas à leur place.
C'est donc un problème tant sur le plan scolaire que psychologique.

Concernant le tronc commun. 21 heures pour 7 matières, ce qui fait 3 heures par matière.
Voici l'emploi du temps d'un seconde ( générale ) qui a prit Art et LV2 en options :
Français => 4h + (0,5 Mod)
Histoire-géographie => 3h + (0,5 Mod)
Langue vivante 1 => 2h + (1 Mod)
Langue vivante 2 => 2h + (0,5)
Mathématiques => 3h + (1 Mod)
Physique - Chimie => 3h30
Sciences et Vie de la Terre => 2h
Education Physique et Sportive => 2h
Education Civique, Juridique et Sociale => 1h
Arts => 3h

On remarque avec évidence le changement entre le système de modules de la réforme et le système actuel. 1 heure de Français est retirée ( alors qu'on nous dit que les élèves français ne savent pas écrire correctement ), une demi-heure de Physique - Chimie retirée également ( et devient " sciences expérimentales ", mais dans ce nom se cache-t-il des Sciences et Vie de la Terre ( SVT ) ? Mystère ... Si c'est le cas, ce sont 2 heures 30 de perdues au total ). L'Education Civique, Juridique et Sociale ( ECJS ) + Histoire - Géographie, qui représentaient 4 heures 30 perdent 1 heure 30. Les Mathématiques perdent 1 heure. Les Langues ( LV1 et LV2 ), qui réunissaient 5 heures 30, perdent 2 heures 30. L'Education Physique et Sportive ( EPS ) gagne 1 heure.
Au total, alors que toutes ces matières faisaient 28 heures, elles n'en font plus que 21 ( 27 en comptant les modules, dont j'ai discuté l'utilité juste au-dessus ). Un sérieux raccourcicement donc ... Alors qu'on nous dit que l'Education française est à revoir, que les élèves ignorent trop de choses, on raccourcit les heures de travail !


Enfin, pour ce qui est de " l'Accompagnement obligatoire " : 3 heures par semaine pour la remise à niveau, les travaux interdisciplinaires et l'aide à l'orientation. Pour ce qui est de la remise à niveau, ce n'est pas une mauvaise idée en soi, mais 3 heures par semaine ... Ca risque de faire beaucoup. D'autant que rien que le nom ne donne absolument pas envie. Ca fait cancre, mauvais élève. Enfin après c'est du chipotage ... Une aide ponctuelle serait par contre la bienvenue, sur ses thèmes précis où l'élève est en difficulté.
Les travaux interdisciplinaires ... J'aurais besoin que l'on me précise très clairement ce que cela entend. " Travaux interdits si plein air " ? ( je ne suis pas l'auteur de ce jeu de mots xD ) Quant à l'aide à l'orientation ... En soi c'est une bonne chose, mais là encore, 3 heures par semaine, il ne faut pas pousser ! L'élève qui n'a pas de difficultés n'aura que l'aide à l'orientation à faire pendant ces 3 heures, et il risque très sérieusement de lacher le morceau au bout d'un mois ! 12 heures d'aide à l'orientation, de manière personnelle, c'est déjà trop, même si effectivement aujourd'hui il y a un problème concernant une bonne orientation de chacun, il ne faut pas 12 heures ( encore moins 108 pour l'année ) pour fixer une bonne orientation ! En une semaine ( 3 heures ) c'est plié normalement, si c'est vraiment personnalisé ... A la rigueur 6 s'il y a besoin d'approfondir, si l'élève ne sait absolument rien de ce qu'il veut faire et où il veut aller ...
Alors un élève qui ne sera pas en difficultés et qui saura exactement où il veut aller et ce qu'il veut faire, que fera-t-il pendant ces 3 heures ? Du coloriage ?
Qui animera cet accompagnement ? Des professeurs ? Des heures en plus pour eux, donc ? Ou alors des Conseillers Principaux d'Orientation ? Il faut parfois 3 mois pour obtenir un rendez-vous, à cause de leur calendrier chargé ... Alors 3 heures par semaine pour chaque classe de seconde ? Je n'imagine même pas la masse de recrutement que l'Education Nationale devra faire, surtout dans des temps où elle veut couper et couper encore plus le budget qui lui est réservé. Si on suit la logique ministérielle actuelle, ce seraient des professeurs qui assureraient ces heures ( d'autant qu'elles font partie des heures de cours ). Le problème qui se pose alors, c'est leur formation ! Les professeur, bien que certains soient d'excellents conseillers quant à l'orientation qui conviendrait le mieux à un élève, ne sont pas formés pour orienter les élèves. Il y a un travail pour ça, c'est un métier à part entière. Au lieu de les former à un travail qui n'est pas le leur, formons-les à plus de pédagogie, car si certains sont excellents en la matière, d'autres ont du mal ! Mais pour cela, peut-être faudrait-il ne pas supprimer la formation qui existe à leur sortie d'examen ... Mais ceci est une autre histoire.



Voici donc un commentaire concernant cette fameuse réforme de la classe de seconde. En espérant que vous aillez tenu jusqu'au bout, bonne lutte à chacun !
Je verrouille ce topic parce qu'il n'est pas là pour débattre de la réforme ou des solutions à apporter, mais juste pour informer des réformes et de leurs conséquences. Si j'ai fait des erreurs, n'hésitez pas à m'écrire un Message Privé. Si vous voulez donner vos propres idées, vos propres réformes, ouvrez un nouveau sujet dans cette partie du forum


P.S. : après une heure et demi passée à décortiquer cette réforme, trouver toutes ses conséquences ... J'ai une de ces hâtes de retourner dans la rue, vous ne pouvez même pas imaginer !

Vu la taille du post et la difficulté à l'éditer ( mon navigateur refuse de me laisser aller en bas du post durant l'édition ), je post ici ce que j'ai oublié. En plus, ça permettra à ceux qui ont lu le post de ne pas avoir à tout relire ...

Dans cette réforme disparait totalement des options qui nous tiennent à coeur. Le théâtre, l'art-plastique, l'histoire des arts ? Alors oui, pour l'histoire des arts il y a le module ... Mais ce n'est évidemment plus la même qualité d'enseignement, puisque les heures sont réduites. Quant au théâtre et à l'art-plastique, c'est fini. On nous dit que les jeunes ne sont pas assez cultivés, mais on supprime les options artistiques ! Où est la logique dans tout ça ?

Ce sont les filières à proprement parler qui disparaissent, puisque disparaissent les options qui les forment. Ce qui donnera, nécessairement, une éducation commune à tous, des élèves tous formatés, dans le même moule, où les différences ne pourront plus s'exprimer.
Oui, il faut lutter contre la transparence des différences sociales dans les lycées, mais pas en formatant tout le monde de la même manière ! C'est en mettant plus en avant les qualités de chacun, qui, associées, forment la société, que l'on avance, que l'on créé un véritable avenir. Si tout le monde reçoit la même éducation, copiée collée, comment s'exprimeront les différences ? Elles seront tassées, oubliées, et notre société ne verra apparaitre qu'une seule et même personne à travers tous les futurs citoyens. Une personne unique, qui en aucun cas ne peut former une société. Il faut une base commune, évidemment, mais pas la même éducation, il faut des différences pour que les différences individuelles s'expriment, car ce qui nous constitue, chacun d'entre nous, ce ne sont pas nos points communs, mais bien au contraire nos différences.